COP26
Poitiers dans le rouge en 2050
La Région Nouvelle-Aquitaine, elle aussi, a son GIEC, son Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat !
Le rapport scientifique AcclimaTerra sur le climat, complété par le rapport Écobiose sur la biodiversité, dresse un constat sans appel du réchauffement climatique dans notre région : demain, il fera vraiment plus chaud. Les conséquences, à Poitiers, seront nombreuses.
Eau : des phénomènes extrêmes plus intenses, une dégradation de la qualité de l’eau
C’est une réalité qui va s’accentuer : les épisodes de sécheresses vont s’allonger, entrecoupés d’épisodes pluvieux très intenses faisant sortir de leur lit les rivières. À Poitiers, on surveille le Clain et la Boivre comme le lait sur le feu. Depuis 3 ans, le laboratoire PPrime travaille avec le Bureau de recherche géologique minier (BRGM), Météo France et Grand Poitiers pour modéliser les crues à venir. « Nous apportons des éléments scientifiques qui serviront à la prise de décision politique, explique Anthony Beaudoin, enseignant-chercheur à l’ENSIP. Concrètement, si l’on prend l’exemple de Tison, cela va permettre de savoir si une centrale hydroélectrique est un investissement judicieux à cet endroit ou si le projet d’une piscine naturelle est envisageable. Car sans eau ou presque en période d’étiage, l’utilité de tels équipements est discutable. »
Quantité mais aussi qualité de l’eau. Malgré les démarches Re-Sources de reconquête de la qualité des eaux, l’eau prélevée continue de flirter dangereusement avec les normes d’eau potable de 50 mg/l de nitrates et 0,5 μg/l pour la somme des pesticides. Depuis des décennies, Grand Poitiers parvient à obtenir une eau de qualité en procédant à des mélanges. Mais le changement climatique pourrait rendre la tâche plus délicate en accentuant les phénomènes de lessivage des nitrates et de pertes de pesticides par ruissellement. La prévention de ces risques par la couverture des sols et l’implantation de structures paysagères constitue à ce titre un enjeu important afin de préserver, à la source, la qualité de l’eau et limiter les traitements coûteux. La solution se trouve dans la gestion équilibrée et raisonnée des ressources, principalement dans le domaine agricole, mais aussi dans la consommation des citoyens au quotidien.
Agriculture : un modèle moins intensif préconisé
Tant sur la qualité de l’eau et du sol, avec l’usage des pesticides, que sur la disparition des éléments fixes du paysage (haies, bosquets, mares…), l’agriculture a un impact certain sur l’environnement. Et demain, des sols moins vivants soumis à un stress hydrique quasi constant verront leur fertilité diminuer. « Là encore, c’est un choix de modèle qui s’impose à nous, explique Yvonnick Guinard de la direction Hygiène publique et qualité environnementale (HPQE) de Grand Poitiers. Soit on persiste, comme c’est majoritairement le cas autour de Poitiers, à produire des céréales gourmandes en eau et nécessitant l’usage de produits phytosanitaires pour l’exportation, soit on s’engage sur la voie d’une agriculture plus responsable et plus locale. » C’est la conversion à ce dernier modèle que vise le Projet alimentaire territorial de Grand Poitiers. La collectivité s’engage auprès des agriculteurs partenaires à leur garantir des marchés en échange de pratiques durables. Mais la mise en place de ce système mettra du temps. Le succès d’un tel modèle est également conditionné aux goûts du consommateur qui devra accepter de consommer des fruits et des légumes moins standardisés, avec plus d’aspérités, mais aussi plus goûtus. Un premier pas est franchi dans les 31 cantines de Poitiers. 50 % de l’alimentation servie à nos enfants est soit issus de produits bio, soit de circuits courts.
Santé : réactions en chaîne
On a tendance à sous-estimer cette réalité, mais le réchauffement climatique aura un impact important sur notre santé. Les épisodes de canicule se répétant et s’intensifiant, il nous faudra, notamment dans l’espace urbain, créer davantage d’îlots de fraîcheur. À Poitiers, la végétalisation en cours de la place de Bretagne et la végétalisation prochaine de la place Leclerc y participent. Les particules présentes dans l’air ou encore les pollens atteindront aussi des seuils critiques. Au parc de Blossac, un Pollinarium Sentinelle permet depuis un an d’anticiper l’arrivée des pollens au printemps. Précieux outil pour ATMO Nouvelle-Aquitaine, chargé de surveiller la qualité de l’air, il permet aussi à la Ville de Poitiers de sensibiliser plus largement aux maladies chroniques, aux produits à risques (perturbateurs endocriniens) et aux bonnes pratiques au quotidien (alimentation, activité physique). Aussi, l’augmentation des températures attirera des espèces jusqu’alors inconnues dans notre région. Comme l’emblématique moustique tigre. Porteur de la Dengue, de Zika ou du Chikungunya, il a été localisé autour de Poitiers ces dernières années. Si les équipes de prévention du CCAS et de Grand Poitiers tentent de limiter sa propagation, il faudra néanmoins s’habituer à vivre avec lui tant sa reproduction est fulgurante. Les actions citées ici ne sont que quelques exemples de solutions que la Ville met en place. Rénovation des bâtiments pour tendre vers un patrimoine à énergie positive, consommation de 100 % d'énergies vertes par la mairie, développement du vélo, mise en oeuvre d'un plan d'actions pour la sobriété numérique, projet d'éducation à la nature au bois de Saint-Pierre... concourent aussi à l'effort collectif. Plus largement, Poitiers n'agit pas seule et s'inscrit complètement dans le Plan Climat de Grand Poitiers. Ce dernier définit huit secteurs clés et des solutions concrètes, pour le territoire, pour parvenir à plus de sobriété et à la mise en place d'alternatives dans les années à venir.
À la veille de la COP26, le climatologue Jean Jouzel, vice-président du GIEC de 2002 à 2015, répond à nos questions.
Grand Poitiers : La COP26 s’est ouverte à Glasgow. Une énième réunion des dirigeants de la planète alors qu’on nous annonce que le réchauffement climatique va plus vite que prévu…
Jean Jouzel : Non, le réchauffement climatique ne va pas plus vite que prévu. Il est en tout point conforme aux prévisions des scientifiques rassemblées dans les rapports successifs du GIEC. Il y a trente ans, lorsque nous avons commencé à alerter la communauté mondiale sur ce qui allait se passer, nos projections étaient relativement fidèles à la situation aujourd’hui. C’est la société qui, pour se donner bonne conscience, affirme que le réchauffement va plus vite. Mais les scientifiques ont toujours été clairs.
Grand Poitiers :Que nous apprend le dernier rapport du GIEC ?
Jean Jouzel : Que nous avons désormais une certitude : le réchauffement climatique est lié aux activités humaines. Cela paraît anecdotique, mais c’est fondamental. Jusqu’alors, on estimait que c’était probable, fortement probable, quasi certain… Désormais, on ne peut plus se cacher derrière notre petit doigt. Nous sommes responsables de l’augmentation des températures, qui va se poursuivre quoi qu’il arrive. À nous de trouver des solutions pour limiter la hausse à 1,5° à 2° maximum en 2100.
Grand Poitiers : Sachant que la hausse des températures est déjà de 1°, ça paraît compliqué…
Jean Jouzel : Ça l’est mais il faut regarder les choses en face : on ne peut pas se permettre de ne pas faire la transition. Les gens ont l’impression qu’ils vivent déjà le réchauffement climatique, mais ce n’est rien par rapport à ce qui nous attend. Si nous ne réagissons pas, le thermomètre va grimper de 4,3-4,5 degrés en 2100 et les conséquences seront nombreuses. Les phénomènes extrêmes comme les canicules, les inondations ou les ouragans vont se multiplier. Personne ne pourra empêcher l’élévation du niveau de la mer, tout comme personne ne pourra vivre à + 5 degrés. Et bien sûr, il y aura des conséquences sociales importantes, que nous voyons déjà surgir d’ailleurs.
Grand Poitiers : C’est-à-dire ?
Jean Jouzel : Le premier effet du réchauffement climatique sur nos vies, c’est l’augmentation des inégalités. On l’a vu avec la crise des Gilets
jaunes. Ce sont les petits revenus qui ont été lourdement affectés par la taxe carbone. Dans les années qui viennent, les prix de l’énergie vont fortement augmenter, ce qui pénalisera une nouvelle fois les plus pauvres. Pendant le confinement, ceux qui
le pouvaient sont partis dans leur résidence secondaire. Demain, ça sera pour échapper à la canicule dans les villes. Dans l’Aude ou le Gard, certains ont tout perdu à cause des inondations, leur maison n’a plus de valeur. Des exemples comme cela, on pourrait en dérouler à l’envie. Et le fossé se creusera inévitablement, entraînant de vrais risques de désordre social.
Grand Poitiers : Quelle est la clé pour inverser la tendance ?
Jean Jouzel : La clé, c’est la maîtrise du réchauffement climatique. Sans elle, on ne peut pas imaginer un développement harmonieux de nos civilisations. J’emploie ce terme, car c’est une vraie crise civilisationnelle à laquelle nous devons faire face. Il faut abandonner les énergies fossiles et atteindre le plus rapidement possible la neutralité carbone en agissant sur tous les leviers. En un mot, il faut changer.
Grand Poitiers : Êtes-vous résigné ?
Jean Jouzel : Sûrement pas. Je suis un chercheur, un scientifique qui s’intéresse au climat. Mon rôle, c’est de donner des résultats aux décideurs politiques pour qu’ils prennent des mesures à la hauteur du problème. Dans cette crise, leur rôle est capital. Mobilité, urbanisme, bâtiment, énergie, déchets… Ils ont la main sur tous les secteurs clés. Le problème, c’est qu’ils ne réagissent pas assez tôt. Plutôt que d’engager des mesures sur le long terme, comme la rénovation thermique des logements pour diminuer les consommations d’énergie, on préfère augmenter la taxe carbone ou les prix des énergies. Ces vingt dernières années, on a perdu beaucoup de temps avec Bush et Trump. Douze ans de climatoscepticisme américain, c’est douze ans de perdus dans notre combat. N’oublions pas que c’est une guerre économique aussi. Il a fallu que la Chine affiche des objectifs de neutralité carbone à l’horizon 2060 pour que les États-Unis prennent des engagements à leur tour.
Grand Poitiers : On parle beaucoup de réchauffement climatique, peu de biodiversité. Contrairement à la COP26, la COP15 s’est déroulée dans une certaine indifférence…
Jean Jouzel : Vous avez raison. L’effondrement de la biodiversité est inquiétant mais je ne fais pas de distinction avec le réchauffement climatique. Pour moi, tout est lié. Aujourd’hui, le réchauffement climatique est la 3e cause (après la destruction des habitats et les pesticides) de disparition de la biodiversité mais très vite, il deviendra la première car les espèces, qu’elles soient animales ou végétales, ne pourront jamais s’adapter à des changements trop extrêmes ou migrer trop rapidement. Vous parliez de clé, je pense qu’elle passe par notre inventivité et notre bon sens. Chacune de nos actions doit être évaluée en fonction de son impact environnemental. La transition écologique est notre espoir et pour la mettre en oeuvre rapidement, nous ne devons pas baisser les bras.
La projection fait froid dans le dos. « Si rien n’est fait », comme le souligne le rapport Écobiose, d’ici 2030, le déclin de la microfaune (les insectes) sera de l’ordre de 95 % et la population d’oiseaux divisée par deux. Si certains effets du réchauffement climatique sont inéluctables, il est encore temps de sauver les espèces animales et végétales qui peuplent nos milieux naturels. Car leur disparition est avant tout due à l’homme qui les prive d’habitat. Passage en revue des problèmes et des solutions.
S’adapter, se préparer
Végétation basse, méditerranéenne, sol aride… Si vous voulez avoir une petite idée de Poitiers en 2050, rendez-vous sur les rochers du Porteau. Comme dans le futur,
on n’y trouve ni chêne pédonculé, ni végétation nécessitant une pluviométrie régulière. En une trentaine d’années, la biodiversité s’est effondrée et les espèces végétales ont peu à peu migré vers le Nord. De même, les zones humides et leurs précieux écosystèmes ont pour beaucoup disparus, pompées par des sols soumis à un stress hydrique quasi constant. Les oiseaux migrateurs sont également fortement touchés comme l’illustre le cas des Busards. Leur arrivée
tardive les prive de nourriture, déjà récoltée, et engendre des échecs de reproduction. De plus, du fait des récoltes plus précoces, 90 % des nichées passent dans les moissonneuses-batteuses. Et les 10 % qui parviennent à survivre ne peuvent se développer à cause de la raréfaction des insectes. Dans un premier temps, il convient de redonner sa place à l’eau, notamment dans l’espace urbain (récupération et infiltration des eaux de pluie…) comme l’envisage Poitiers, de sanctuariser certains espaces en créant des trames vertes et bleues pour permettre aux milieux de se régénérer plus facilement. Et à la faune de se déplacer.
Changer
Étalement urbain, construction d’infrastructures routières ou aéroportuaires… L’effondrement de la biodiversité est principalement le fait de la destruction des habitats. Pour inverser la tendance, la préservation des terres agricoles et la conservation des trames écologiques sont un préalable. Mais pour voir revenir le vivant dans nos champs et nos jardins, les pesticides et insecticides qui éradiquent toute vie doivent être proscrits. Depuis 2000, la Ville n’utilise plus de produits phytosanitaires pour la gestion de ses espaces (parcs et jardins, domaine public, stades et cimetières) et dernièrement, des collectes de produits nocifs pour l’environnement ont été organisées directement auprès des particuliers. Reste à donner au monde agricole les moyens de faire évoluer ses pratiques. Parallèlement, la Ville encourage la création de jardins au naturel qui ont une vocation pédagogique. Oublions aussi la norme d’un gazon tondu à ras tout l’été. Les fauches tardives permettent de revoir coccinelles, papillons, abeilles et autres scarabées. Avec eux reviendront les oiseaux. Pour les animaux qui vivent et chassent la nuit, le cycle estperturbé par la pollution lumineuse de nos villes. Expérimenté jusqu’alors dans certains quartiers de Poitiers, l’extinction de l’éclairage nocturne de minuit à 5h du matin va être bientôt étendue à toute la ville. Autre exemple avec la lutte contre la prolifération d’espèces invasives comme le frelon asiatique, la jussie ou encore la renouée du Japon qui font des ravages sur nos écosystèmes.
Chacun, à son échelle, peut limiter son impact sur l'environnement. Témoignages.
Des élèves investis au collège Ronsard
Au collège Ronsard, une équipe pédagogique, dont la professeur d’anglais Caroline Texier, se mobilise pour accompagner les éco-délégués. 15 élèves sont élus ce mois-ci. Formation, rencontres avec des professionnels, création d’une pépinière de projets… « L’idée est de permettre aux élèves d’avoir des prises de conscience. Ils pourront ainsi faire preuve d’exemplarité et sensibiliser leurs camarades », estime la professeure. Ces collégiens investis se réunissent le vendredi sur la pause méridienne pour se former, "brain-stormer" et faire émerger des projets développés dans les 2 ans. Autre projet : des collégiens motivés s’investissent dans la web radio de l’établissement. « Ils portent différents projets, dont l’un autour dela pollution numérique,expliquent Rachel Tacher et Mickaël Pied qui animent l’atelier. Les jeunes sont très sensibles aux thématiques de l’environnement, à ce qu’ils peuvent faire pour agir. »
Maggy Beaujean, chargée de mission RSE
Maggy Beaujean est chargée de mission RSE (Responsabilité sociale des entreprises) au sein du cabinet Bakertilly Strego. Le bilan carbone de la structure, réalisé en 2020, a mis en évidence le poids des déplacements dans les émissions de gaz à effets de serre.« Chaque année, notre enquête mobilité nous permet d’analyser les déplacements des collaborateurs et de mettre en place des actions », explique la professionnelle. En juin, l’entreprise a participé au challenge de la mobilité, dont Grand Poitiers est partenaire. « C’est une manière de sensibiliser aux modes de déplacement alternatifs. Avec 73 % de participants, 5 équipes de co-voiturage, des salariés venus à vélo et même en courant… Nous avons gagné le challenge. Désormais, deux des équipes viennent quotidiennement en co voiturage. » En projet : le glissement vers une flotte de véhicules hybrides, l’installation de bornes électriques, la mise en place d’un forfait mobilité durable…
Didier Seguin, participant au Défi zéro déchet vert
Didier Seguin a participé au défi Zéro déchet vert.« Ma motivation principale était écologique : faire moins d’allers-retours à la déchetterie et voir ce que l’on pouvait faire de mieux. » Avec un jardin de 1 000 m², planté d’une dizaine de fruitiers et d'arbustes, le chantier est de taille. « Mon composteur, j’y mettais tout et n’importe quoi », raconte cet habitant de Poitiers ouest. Grâce aux formations de l’association Compost’âge, il a compris « que l’on ne se débarrasse pas des déchets verts, on lesorganiseafin qu’ils servent à un monde beaucoup plus petit ». Depuis, Didier utilise sur site ce qu'il produit et ne va plus à la déchetterie. « Je passe la tondeuse plus souvent mais je laisse la tonte et mon gazon est plus vert, j’ai acheté un mini-broyeur pour les branchages que je mets au pied de mes arbustes ou de mes rosiers, je découpe en rondin les branches pour en faire de la déco, un hôtel à insectes et du combustible pour mon poêle à bois », détaille-t-il.
Pauline Clément et Eléa Blain, lycéennes
Pauline et Eléa sont ambassadrices du Pacte mondial des jeunes pour le climat, un programme de dialogue entre jeunes et scientifiques spécialistes du climat né à l’Espace Mendès-France. Les deux lycéennes ont en commun l’engagement et l’urgence « de faire bouger les choses ». Pauline a participé à la COP25 en 2019 à Madrid, où elle a pu, avec d’autres jeunes du monde entier, « exprimer nos attentes pour la société. C’est à nous qu’appartient l’avenir et c’est à nous de montrer que l’on peut agir, pour que cela donne de l’espoir à tous », estime-t-elle. Eléa fait partie de la commission développement durable du LP2I : « Nous prenons des mesures pour améliorer l’impact écologique de l’établissement : compostage des déchets au self, recyclage des mégots de cigarettes… », illustre-t-elle. « C’est nous, les jeunes, qui allons vivre le plus intensément les impacts du réchauffement climatique. À nous de trouver des solutions avant qu’il ne soit trop tard et que l’on ne puisse que subir ».